Paratextes
Définition générale
En littérature, les éléments paratextuels ont traditionnellement une fonction de seuil entre le hors-texte et le texte. Par ce biais, ils permettent le passage entre le niveau extradiégétique et le niveau diégétique, et, finalement, dans le cas de la littérature, entre réalité et fiction. Si ce modèle est assez défini dans le cas de l’édition papier, l’espace numérique a tendance à le rendre de plus en plus flou. Sur le Web, tout est texte ou, pour être plus précis, il n’y a sur le Web qu’un peu de texte et une quantité énorme de paratextes. Et c’est justement le paratexte qui a d’habitude une fonction opérationnelle: le paratexte est un dispositif qui nous permet d’agir (changer d’adresse, de page, liker un contenu, etc.). Pour le dire autrement: le paratexte devient interface et l’interface est un lieu d’action, un monde ou, encore mieux, le monde où nous agissons. Le paratexte devient donc environnement, notre environnement.
Définition détaillée
Les paratextes renvoient à l'ensemble des marques qui "entourent" le texte à proprement parler. Du moins c'était le cas dans le contexte de l'édition papier. Mais avec la généralisation des pratiques d'édition numérique, il va de soi que... l'utilisation des codes associés à l'inscription conventionnelle des paratextes (titre, quatrième de couverture, crédits, incipit, exergue, notes de bas de pages, intertitres, notes de l'éditeur, colophon,...) ne devrait plus du tout aller de soi ! En effet, si on prend l'exemple d'un site web, qui peut bien proposer un contenu équivalent à celui que l'on retrouverait dans un livre, dans la mesure où on y accède suite à une requête effectuée via un moteur de recherche, il y a fort à parier qu'on y arrivera (sur le site web) à la page où se trouve le contenu pertinent selon la recherche effectuée, et non sur la page d'accueil. Du coup, si tant est que le titre du site ne se trouve pas sur toutes les pages, et pire s'il n'existe aucun moyen de revenir à la page d'accueil, on se trouvera littéralement perdu. C'est pourquoi on considère dans le domaine du design web que c'est une bonne pratique qu'il soit toujours possible de s'y retrouver où que l'on soit sur le site. Différence majeure avec le livre papier où il suffit de refermer le livre pour retrouver le titre[1].
Mais ce que cet exemple illustre déjà assez bien est que finalement, les conventions qui prévalent dans le monde de l'édition papier ont généralement leur raison d'être, et il s'avère rapidement nécessaire de leur trouver un équivalent dans le domaine de l'édition numérique. La dématérialisation a de nombreux avantages, mais elle présente certains inconvénients dont celui de ne pas nous donner une prise manuelle sur l'ouvrage que nous ouvrons par un simple effleurement du doigt. Le fait de ne pas pouvoir le voir sur les rayons d'une bibliothèque parce que notre écran de liseuse ne peut mous montrer qu'un petit nombre de titres à la fois fait que l'on peut passer à côté plus souvent. Par contre, on peut catégoriser les livres de notre bibliothèque numérique en les rangeant par catégories suivant une arborescence qui fait sens pour nous et ainsi cibler davantage notre recherche. Il serait éventuellement agréable de pouvoir étiqueter nos livres comme nous le faisons des billets de notre blogue. Cela devrait pouvoir se faire sans trop de difficulté. La question qui se pose alors : est-ce que les étiquettes que nous associons à nos ouvrages font partie du paratexte ? Et l'ensemble des annotations qui y sont associés grâce à un système de balisage à granularité fine (les CFI dans ePub 3) ? Est-ce que les annotations étaient considérées comme du paratexte à l'ère de l'imprimé ? Dans la mesure où elles étaient le fruit de l'auteur qui pourrait les inclure dans une éventuelle réédition, elles auraient peut-être dû l'être. Mais à l'ère du numérique, où la différence entre l'auteur et le lecteurs tend à s'estomper, les annotations des lecteurs pouvant être publiquement partagées, pourquoi leur refuserions-nous le statut de paratexte si elles nous informent à propos du texte comme le fait le titre ou la pagination. D'ailleurs concernant la pagination, c'est un désavantage du numérique de ne pas avoir instauré un système de repérage aussi stable et efficace. La pagination n'était pas parfaite. Elle variait d'un format à l'autre, en fonction de l'édition. Mais ce contexte étant fourni, elle acquérait quelque chose d'absolu. Des systèmes de repérage qui seraient relatifs, comme troisième phrase du 17ème paragraphe du première chapitre de la partie II nous seraient peut-être utiles si nous pouvions en formaliser l'inscription à la manière des versets de la bible. Mais cela nous obligerait à concevoir nos ouvrages numériques suivant une telle structuration, linéaire et hiérarchique, alors que l'intérêt numérique est de permettre de retrouver du contenu en effectuant des recherches en plein texte et de favoriser la navigation contextuelle grâce des hyperliens. L'algorithme qui associe un terme de recherche à des contenus en corrigeant éventuellement des erreurs de frappe et en se référant parfois à des dictionnaires pour trouver des équivalents dans une autre langue ou même des synonymes ou d'autres termes appartenant au même champ sémantique, viennent remplacer la pagination pour permettre de repérer du contenu. C'est ainsi que lorsqu'une maison d'édition demande la production de la version ePub d'un livre papier, elle ne demande pas la production de l'index. Elle laisse le soin aux lecteurs de chercher si les mots qui les intéressent s'y trouvent en faisant la recherche à l'aide de l'outil fourni par leur appareil. Est-ce que le code qui permet à l'outil de recherche de fonctionner et les bases de données dans lesquelles il va puiser font partie du paratexte ? Mais admettons qu'un éditeur offre l'index avec les hyperliens reliant les termes à leurs différentes occurrences dans le texte (déjà cela est un problème de taille, mais admettons que le recours aux CFI de l'ePub 3, encore dramatiquement peu utilisés, serve de solution), ne doit-t-on pas admettre que les hyperliens vers les identifiants de fragments (c'est ce que sont les CFI : des balises qui identifient des fragments dans un paragraphe de texte) sont aussi des paratextes, est-ce à dire que ces balises auxquelles le lecteur n'a pas accès forment une partie complémentaire de l'hyperlien qui est derrière l'hypertexte ? Et cette définition d'hypertexte au sens technique n'est-elle pas une source de confusion par rapport à la terminologie établie par Gérard Genette dans Palimpsestes. On le sait justement grâce à cette réflexion de Genette sur les différents types de transtextualité, l'hypertextualité existait déjà dans le cadre des livres papier. Les définitions des paratextes, des métatextes, des hypertextes et des intertextes faisaient en sorte qu'ils se chevauchaient un peu (surtout ces deux derniers). On peut voir qu'avec le passage au numérique, les paratextes, si on tient à continuer à les définir comme ces inscriptions qui permettent de fournir un cadre aidant à repérer les limites du texte, comme la frontière entre son dedans et son dehors, eh bien ce paratexte risque de devenir très variable suivant la manière dont on lit cette frontière.
Tant qu'on se contentera de consulter des contenus qui prendront une forme qui nous rappellera les codex, on arrivera à négocier les différences conceptuelles du point de vue de nos besoins courant. Mais dès qu'on consentira à ce que le livre soit plus éclaté, le paratexte risque de prendre une importance beaucoup plus importante, et conjugué au travail de commentaire et d'annotation des contenus, notamment grâce aux métadonnées dans la perspective du web sémantique, ils risquent fort, ces "à côtés" du texte, de devenir des contreforts, sans lesquels l'ensemble de l'édifice risquerait de s'évanouir ... faute de pouvoir s'écrouler.- ↑ Cependant, dans le livre papier, on peut retrouver le titre à chaque page en en-tête, un autre paratexte