Le Projet BOUVARD
Sommaire
Le Projet BOUVARD
Le Projet BOUVARD est en lien avec les concepts d'Édition numérique, de Numérisation et de Texte numérique
Il questionne les notions de Fonction éditoriale et de Légitimation
Présentation
« Le projet a pour l’objet l’édition critique en ligne d’un ensemble patrimonial cohérent, d’importance scientifique et culturelle reconnue, sous une forme technologique novatrice,seule adaptée à un contenu intellectuel et matériel complexe que l’édition imprimée échoue à restituer dans toutes ses dimensions et son irréductible spécificité. »[1]
Le Projet BOUVARD est un projet d'édition des manuscrits de la partie inachevée du roman Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert disponible en ligne : http://www.dossiers-flaubert.fr/.
Formation de l'équipe
Le projet procède d'une rencontre entre Stéphnie Dord-Crouslé, chargée de recherche au CNRS et coordonnatrice à Lyon d’une équipe multidisciplinaire et internationale débutant un travail sur les dossiers documentaires de Bouvard et Pécuchet, et l’équipe d’études flaubertiennes de l’Université de Messine, au fait des nouvelles voies de la génétique. Les deux équipes se sont réparti l’immensité du corpus pour une analyse sous différents aspects (déchiffrement, transcription, datation, repères bibliographiques, analyse de variantes, établissement des notes d’édition…) afin de parvenir à une nouvelle édition critique et en ligne des dossiers de Bouvard et Pécuchet. Grâce à la bourse décernée par le Ministère des Affaires étrangères et européennes (situé en France) et le Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca (en Italie), les deux équipes ont pu organiser deux réunions importantes au cours de l’année 2009. Ce financement a également permis de rendre l’interface multilingue (disponible actuellement en 4 langues : français, anglais, italien et espagnol). Au-delà des grandes qualités et des potentialités innovantes qu’offre le site, cette édition électronique des dossiers documentaires de Bouvard et Pécuchet a été l’occasion d’une collaboration et s’est ainsi assimilée lors de sa création à une forme moderne de table ronde, constamment ouverte et active permettant par sa nature numérique un dialogue entre personne d’horizons lointains, au-delà des décalages horaires et des distances. Ce fut la première étape de ce projet que de rassembler des spécialistes de Flaubert et des spécialistes informaticiens au sein d’une même équipe de recherche multinationale œuvrant en collaboration pour un savoir collaboratif. Ont suivi les démarches pour trouver les financements et les soutiens permettant de définir un format-pivot pour l’édition.
Objectifs
En réaction ou à la suite du contexte éditorial particulier de l’œuvre source, naît le projet d’une édition numérique, proposition de dépassement de la nécessaire forme autoritaire imposée par le support papier. Le projet se conçoit selon deux objectifs :
- En tant qu’édition, il s’agit avant tout d’éditer un corpus patrimonial complexe et difficilement accessible.
- Rendre le corpus manipulable et en particulier offrir la possibilité de produire des deuxièmes volumes à la demande, ce qui revient à établir une interface permettant la production d’une édition personnelle à partir des multiples fragments mis en ligne.
Une Proposition pour le domaine de l'Édition numérique
Rendre le corpus malléable
Le corpus des fragments du roman inachevé n'est pas seulement rendu accessible et lisible : le site permet également de le manipuler et de produire une édition personnelle. Le projet Bouvard propose en effet une interface permettant de produire des deuxièmes volumes conjecturaux. Afin d'accéder à l'interface d'édition, l'utilisateur doit cependant créer un compte : il ne s’agit pas seulement de bénéficier d’un outil d’édition mais de participer pleinement et nominalement à une expérience littéraire et scientifique. L’Agenceur , qui est le principal outil de l’interface d’édition, propose des exemples détaillés sur la page « Hypothèses » et offre le traitement le plus large possible grâce à des entrées par sous-corpus. Cette interface se construit sur le modèle du "kaléidoscope", un qualificatif imagé qui permet de se représenter la structure de l’interface. Proposant déjà plusieurs reconstitutions du volume flaubertien manquant, ce projet permet à chaque visiteur du site de produire sa propre reconstitution d’une œuvre inachevée et inachevable. Point crucial et original du site, ayant sans aucun doute complexifié la tâche de l’équipe technique, il s’agit là de répondre à une rigueur scientifique typique de l’esprit « humanité numérique » : le site montre en effet de quelle manière l’encodage de l’édition électronique peut être exploité pour le fonctionnement d’une interface de création unique et dynamique. De même que l’édition numérique procède d’une suite d’édition papier, l’édition personnelle de l’internaute peut procèder des éditions numériques déjà existantes. Cette version finale pourra être soumise selon la volonté de l’internaute et pourra être reconstituée et exportée au format XML ou PDF. La TEI (Text Encoding Initiative), un format XML de description de textes, outil issu d’une communauté académique internationale dans le domaine des humanités numériques, permet cette malléabilité du texte puisqu’elle conduit à une transcription formalisée unique (diplomatique, normalisée et enrichie), elle conserve des unités « texte », fragmente et recompose le corpus en unités-cibles, en acceptant des requêtes complexes et l’export d’un corpus. C’est cet outil-pivot qui rend possible la création d’un second volume à partir du site.
Collaboration et autorité scientifique
Un tel projet pose question et même problème sur certains points. En effet si aucune des éditions créées à partir du site ne peut aspirer à une autorité ou à une supériorité, un problème déontologique et de conscience intellectuelle se pose. L’accès à cet outil « pour tous », c’est là un idéal de partage de culture qui ne peut être nié, amène à des questionnements importants. Se pose d’abord la question d’une citoyenneté sur le web , la question de confiance en l’internaute est également présente, enfin le rapport face à une équipe de chercheurs, universitaire et légitime car investi d’un diplôme paraît se complexifier. Le risque d’une banalisation ou d’un nivellement de valeur de la production paraît présent. Le lecteur placé au centre du système éditorial, voyant son rôle de critique actif valorisé, semble se confondre avec l’auteur ou l’éditeur de métier. Cette place inédite ménagée pour le lecteur, lui permettant de tester ses propres hypothèses de classement et d’édition, le place en position de co-auteur a minima. Comment alors le différencier d’un auteur du web ou d’un éditeur numérique puisqu’ils utilisent majoritairement les mêmes outils vers un résultat identique dans la forme ? En plus d’une collaboration dans le savoir, le lecteur adhère à une communauté (il doit créer un compte à partir du site pour pouvoir « éditer ») et trouve à sa disposition une ouverture sur le monde flaubertien via l’onglet « Evénements » qui l’informe des conférences et manifestations à venir, au sujet desquelles il peut notamment réagir grâce à une interface permettant la publication de commentaire. Ce questionnement touchant à la sociologie se retrouve dans tous projets fondés sur un principe d’open data, sur l’idée d’un savoir collaboratif (comme par exemple le cas de Wikipédia). C’est également la question d’une finalité qui est posée : doit-on comprendre l’outil d’édition comme la possibilité de se créer « son Flaubert » ? Ce risque d’une banalisation d’un corpus ou d’un travail d’édition demeure cependant, selon notre avis, largement compensé et réduit par le fonctionnement même du site et par la nature du corpus : ce n’est pas parce que le corpus est disponible et éditable, que ce travail de lecture et d’édition est concrètement « à la portée du premier venu ». Si dans l’idéal tous les visiteurs ont accès aux fonctionnalités, le simple travail de lecture et de connaissance du gigantesque corpus induit à l’origine un sérieux et une certaine rigueur, aspects qui protègent l’édition d’un usage abusif ou simplement ludique.
Bibliographie
Editer le chantier documentaire de Bouvard et Pécuchet, Explorations critiques et premières réalisations numériques, textes réunis par Rosa Maria Palermo Di Stefano, Stéphanie Dord-Crouslé et Stella Mangiapane, Andrea Lippolis Editore, Messina, 2010.
Notes et Références
- ↑ Éditer le chantier documentaire de Bouvard et Pécuchet, Explorations critiques et premières réalisations numériques, textes réunis par Rosa Maria Palermo Di Stefano, Stéphanie Dord-Crouslé et Stella Mangiapane, Andrea Lippolis Editore, Messina, 2010, « Vers une édition électronique des dossiers de Bouvard et Pécuchet », Stéphanie Dord-Crouslé, p.15.