World Brain

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Présentation

Produit par Irreverence Films, World Brain décrit le réseau planétaire qui nous englobe et propose des outils théoriques pour le comprendre. Le site interactif se présente comme une base de ressources en ligne pour se repérer à l'intérieur du cerveau mondial. Il est à la fois documentaire, fiction et manuel. À la fois carte interactive, film et livre, l’interface de World Brain donne accès à une série de films courts, à des textes, à différents médias et à des liens vers d’autres sites. World Brain est un film-essai. Il propose une plongée à l’intérieur des lieux physiques par lesquels transite le réseau internet. À cette exploration se superpose une enquête sur les utopies et les idéologies liées à l’émergence d’une intelligence collective et à l’hypothèse d’un cerveau mondial. Nous suivons ainsi les pérégrinations d'un groupe de chercheurs qui tente de survivre dans la forêt grâce à Wikipédia. Au contraire des rêves de déconnexion, ils quittent tout, sauf la connexion. Ils utilisent la forêt comme une manière de se relier au réseau. L’axe créatif emprunté par Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon nous pousse à analyser les modalités d’édition numérique de World Brain.

Enjeux

Comment World Brain dépasse-t-il la simple forme du web-documentaire pour se positionner au-delà et devenir un essai transmédia ?

Il s’agit d’analyser, dans un premier temps, la plateforme multimédia collaborative –ARTE CREATIVE- au sein de laquelle évolue le document. Nous étudierons ensuite les modalités de développement et de diffusion de World Brain pour voir que ces dernières questionnent notre rapport à la culture numérique et Internet.

ARTE CREATIVE

Notre analyse aborde, en premier lieu, la plateforme multimédia collaborative ARTE CREATIVE, espace de diffusion numérique. Comme nous l’avons défini, dans le contexte de l’édition numérique, une plateforme est une structure technique qui permet aux utilisateurs de publier du contenu en ligne. Elle est un squelette sur lequel le contenu est construit. L'ambition de la plateforme ARTE CREATIVE est de devenir un lieu de publication. Une passerelle de diffusion des nouvelles formes médiatiques émergentes qui « ne veut pas se contenter d’être une fenêtre d’accueil et d’exposition, mais aussi un lieu d’incubation créative » a déclaré Philippe Chazal dans un entretien accordé à Libération. La ligne éditoriale d’ARTE CREATIVE s’inscrit dans une phase de turbulence qu’Henry Jenkins décrit dans son livre Convergence Culture. Cette phase de turbulence dans laquelle sont plongés les médias de diffusion s’opère dans un environnement devenu réactif et participatif. Ils doivent coopérer avec une audience moins fidélisable, capable de migrer pour réaliser des expériences qui lui conviennent. Jenkins nomme convergence l'intersection entre au moins trois processus : celui de la mise en flux des contenus, celui de la multiplicité des plateformes médiatiques et celui du caractère versatile de l'audience. L'arrivée des web-documentaires- comme World Brain- s'insère dans un paysage médiatique caractérisé par des changements dans le mode de consommation des médias. Alors que le lectorat de la presse écrite continue de baisser inexorablement, la télévision a progressivement cédé sa première place à l'internet en termes de temps passé devant l'appareil récepteur chez les "digital natives". L’émergence de plateformes comme ARTE CREATIVE couplé à un processus de désintermédiation accentue ces phénomènes décrits par Jenkins. Nous sommes dans une rupture des modes traditionnels de conception, de production et de commercialisation. Nous passons d'une économie linéaire, où le bien passe de son possesseur d'origine à un vendeur puis à l'acheteur, à une économie en réseau, provoquée par la popularité d'Internet. Avec le Web, des intermédiaires qui étaient jusqu'à récemment institutionnalisés, paraissent maintenant superflus et ne sont plus respectés. Ce nouveau processus éditorial suppose, sur la plateforme où est diffusée World Brain, plusieurs paramètres propres aux plateformes multimédia collaboratives : un maximum d'oeuvres en Creative Commons et en Open Access, un système de coproduction pour les pièces originales et le souhait d'échanges entre artistes. ARTE CREATIVE aspire à servir d'incubateur à de nouvelles écritures visuelles mais également de lieu d’échange et de questionnement avec l’ouverture de plateforme spécifiques dédiées aux commentaires par exemple. World Brain, si elle n’est pas une œuvre collaborative pour le spectateur, s’insère dans ce musée numérique qu’est ARTE CREATIVE pour développer un support éditique transmédia capable de nous interroger sur nos pratiques.

World Brain : une salle dans un musée numérique

Le développement de World Brain en tant qu’œuvre d’édition numérique permet, de par sa structure mais également son contenu, de questionner notre rapport à la culture numérique et internet. La structure de World Brain fait écho à plusieurs documents audio-visuels dans une perspective transmédiatique. On a d’abord un film document où, les vidéos s’enchaînent dans une forme de montage non linéaire pour mieux énoncer un propos vis-à-vis des data centers et de la place prépondérante d’Internet dans nos vies. Au film, s’ajoute une sorte de carte heuristique qui, par l’appropriation de contenus aussi bien textuels que audio-visuels, confère une dimension interactive à l’œuvre. Cette dimension fait appel à la notion de lecture/écriture au sens où l’interactivité permise par les technologies numériques brouille la frontière entre des pratiques autrefois considérées distinctement. Le lecteur, par son interaction avec les différents types de contenus, est en mesure d'engendrer des couches multiples d'interprétation face au phénomène culturel numérique. L’usager circule dans cet espace numérique au contenu hypertextuel varié au gré de ses envies et profite de sa mise à disposition par le musée numérique créé par Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon. Une sorte de salle à l’intérieur de l’espace muséal numérique qu’est ARTE CREATIVE. Nous sommes ici face à un essai transmédiatique qui mélange les potentialités offertes par internet. On y retrouve un mélange de photographies, vidéos, sons, textes, cartes et éléments graphiques, associés aux possibilités du web participatif (forums sociaux, chat, géo-localisation, bases de données, etc). Format éditorial hybride, World Brain offre au spectateur un récit interactif dans un « storytelling » que le lecteur oriente et dont la scénarisation fragmente la lecture. World Brain est un ensemble. Le film, non linéaire, se superpose à cette cartographie mondial dans le but de mieux nous questionner vis-à-vis de notre rapport aux technologies de l’internet. Pour les concepteurs, le sujet est l’occasion d’explorer cette utopie de la connexion universelle qui entraîne l’humanité dans un projet qualifié de pharaonique par les réalisateurs : la construction d’un espace mondial spécifiquement conçu pour le confort des données. C’est à dire une centaine de milliers de data centers, interconnectés par des câbles sous-marins ou souterrains. World Brain entraîne le spectateur dans cette machine au sein de laquelle beaucoup croient voir émerger un cerveau mondial dont nous ne serions que les neurones. Le film suit également un réseau de chercheurs nomades qui fuient leurs laboratoires pour mener des expériences de connexions alternatives dans différentes forêts du monde. Inspiré du Whole Earth Catalog de Stewart Brand. Ce catalogue américain de contre-culture est publié par Stewart Brand entre 1968 et 1972, puis occasionnellement jusqu'en 1998. Les Whole Earth Catalogs proposaient toutes sortes de produits à la vente (vêtements, livres, outils, machines, graines — des choses utiles à un style de vie créatif et autosuffisant), mais ne vendaient directement aucun de ces produits. Il prônait le Do it yourself. Les noms des vendeurs et les prix étaient listés à côté des produits proposés, le tout étant accompagné d'une recommandation de ne pas harceler ces sociétés, souvent de taille modeste, par des questions de simple curiosité si on n'envisageait pas vraiment l'achat de ce qu'elles proposaient. World Brain rend ces ressources accessibles en ligne. À la fois carte interactive, film et livre, l’interface de World Brain donne accès à une série de films courts, à des textes, à différents médias et à des liens vers d’autres sites. La forme de la carte permet d’organiser des contenus précis, complets et hiérarchisés, regroupés autour de trois approches selon les auteurs :

  • L’architecture du réseau mondial

World Brain propose une plongée connectée à l’intérieur des lieux physiques par lesquels transite le réseau internet : câbles sous-marins, data centers, satellites. Le spectateur voit le monde comme s’il était une information, traversant la planète de manière quasi instantanée, recopiée à l’infini, ou au contraire stockée dans des lieux maintenus secrets. Le film suit les ramifications du réseau mondial, en montrant l’infrastructure matérielle des réseaux des data centers et des câbles sous marins.

  • Utopies du cerveau mondial

À cette exploration se superpose une enquête sur les utopies et les idéologies liées à l’émergence d’une intelligence collective et à l’hypothèse d’un cerveau mondial qui connecte tous les individus de manière irrémédiable : l’utopie réalisée de l’universalisme sans échappatoire, l’individu emprisonné dans le global.

  • D’autres futurs pour l’humanité connectée

Le film montre les pérégrinations d’un réseau de chercheurs nomades, qui se réunissent loin des réseaux, dans les forêts de la planète. Ces chercheurs ont pour objectif de lutter contre l’obsolescence programmée de l’homme, entretenue par le World Brain. Ils veulent transformer le monde et imaginent différents scénarios prototypes réalisables pour des modes de vie expérimentaux, à partir de la connexion généralisée des individus entre eux.

Conclusion

World Brain dresse donc une brève histoire du fantasme de l’échange d’informations entre cerveaux et à l’évolution d’une culture numérique ultra-connectée. Les réalisaeurs montrent que l’idée d’une intelligence mondiale émerge bien avant Internet : galvanisme, magnétisme animal, fluide, mesmérisme, éther, cinquième élément, spiritualisme, télégraphe spirite… Puis elle devient réelle dans le sémaphore de Chappe, le télégraphe de Morse, le téléphone, la cybernétique, et la lente création d’Internet. Le travail initié par Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin se place comme un essai transmédia visant à nous questionner sur nos habitudes à l’ère de la culture numérique et de la circulation des données. Les auteurs se servent du dispositif numérique pour mieux le questionner de l’intérieur.