Intermédialité

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Définition générale

La notion d’intermédialité renvoie à une pluralité d’approches théoriques étudiant les relations entre les médias. Ces approches se rejoignent dans la primauté qu’elles accordent à la relation – qui vient ainsi avant les termes –, dans l’attention qu’elles portent à la matérialité de la médiation et, depuis quelques années, dans l’adoption de perspectives anti-essentialistes qui s’opposent à une conception des médias comme formes à l’identité fixe. L'intermédialité s'intéresse entre autres aux pratiques intermédiales, sans s'y limiter.

Un axe de pertinence?

L'intermédialité est caractérisée par son polymorphisme et par sa qualité de terme-parapluie sous lequel se rangent une grande variété d'approches. Il est difficile d'établir si l'intermédialité est un concept (Mariniello, Méchoulan), une approche, un champ d'études (ce que légitiment les programmes comme celui de Lit. Co. et d'autres qui se forment au nord de l'Europe) ou une théorie. Jürgen E. Müller a proposé, en 2000, de la considérer comme un axe de pertinence (l'expression est d'abord de Roger Odin) pouvant s'arrimer à d'autres perspectives déjà mieux établies (sémiotique, esthétique, cognitiviste, historique). Cette figure de l'axe de pertinence, à la fois prudente et élégante, a été reprise maintes et maintes fois depuis sa première formulation, mais il semble qu'elle soit aujourd'hui à revisiter. Si elle rendait bien compte de la situation des premiers intermédialistes qui, issus d'horizons divers, venaient ajouter l'axe de pertinence intermédiatique à leurs questionnements, l'institutionnalisation progressive de l'intermédialité au cours des dernières années au sein de plusieurs universités (occidentales, notamment) a donné naissance à une nouvelle génération de chercheurs (sans égard à l'âge) pour qui l'intermédialité est une posture, une attitude, une vision, un prisme qui précède le domaine d'études.

Trois caractéristiques de l'intermédialité

Les approches intermédiales sont très différentes les unes des autres et il est difficile de parler de l'intermédialité comme d'une théorie cohérente ou alors comme d'une école de pensée. Cependant on peut souligner trois aspects qui sont présents dans la plupart des approches intermédiales:

1. L'idée selon laquelle les relations sont premières par rapport aux choses. À partir de la composition même du terme - comme le soulignait déjà Éric Méchoulan dans son article de 2003 - l'intermédialité insiste sur l'aspect relationnel: entre (inter) ce qui est entre (média). Cette importance des relations peut être interprétée de plusieurs manières (plus ou moins essentialiste, par exemple), mais reste une caractéristique centrale des approches intermédiales.

2. L'impossibilité de faire abstraction du support d'inscription d'un contenu. Il n'y a pas de contenu idéal qui s'incarnerait ensuite dans un support. Support et contenu sont indissociables. Cette idée est présente aussi de façon plus ou moins radicale dans les approches intermédiales. Selon des approches plus récente, la formulation même de ce principe - la non division entre contenu et support - est déjà abusive - car elle renvoie à la polarité qu'elle essaie de nier.

3. L'anti-essentialisme. En particulier à partir de 2008/2010, plusieurs intermédialistes ont souligné le lien entre la centralité des relations et l'impossibilité d'une approche ontologique. Il y Ny a pas d'essence, il n'y a que des relations. Le lien de cette affirmation avec le Nietzscheén "il n'y a pas d'essences il n'y a que des actes" est évident. L'anti-essentialisme intermédial relie les approches intermédiales à la tradition philosophique du XX siècle et notamment aux performance studies. Dans ce sens Chiel Kattenbelt affirme que l'intermédialité est la forme la plus radicale de performativité


Penser la différence

Un peu d'histoire pour comprendre ce que la primauté de la relation peut impliquer. Pour ne pas tomber dans les "pièges" de l'identification (les médias sont tous pareils et les catégories d'analyse de l'un peut s'appliquer aux autres, c.f. une certaine narratologie) ou de l'opposition (les frontières entre médias sont infranchissables et chacun ne doit servir qu'à ce qu'il sait faire), il faut plutôt penser la différence. Autrement dit,il ne s’agit pas d'identifier les médias les uns aux autres et de réduire tout à fait les différences entre les processus de médiation, mais les séparer sur la base de principes ontologiques stables n’est pas une voie plus sure. En cela, la posture intermédiale réactualise et reformule les débats entre des traditions pluriséculaires qui ont influencé nos façons de concevoir les relations entre les arts et médias. Pour essayer de définir la nature des types de rapports que l’intermédialité contemporaine est plus encline à considérer, prenons appui sur deux grands mouvements fortement commentés de l’histoire du rapport textuel-visuel en tant qu’horizons paradigmatiques, avant de penser leur négociation dans le contexte d’une pensée de la relation.

Identification

Sur les rapports d’identité, d’abord. La tendance à l’identification par un postulat d’équivalence est ici exemplifiée par la célèbre phrase attribuée à Simonide de Céos, reprise par Plutarque : la peinture est une poésie muette et la poésie est une peinture parlante. Très près de l’ut pictura poesis d’Horace, ces propos posent une forme d’identité entre peinture à poésie en supposant qu’ils sont tous deux capables de mener à bien les mêmes entreprises représentationnelles. Cela n’est pas sans lien avec la tradition des sister arts où les arts, formes-sœurs comme les muses antiques, voyaient les parallèles facilement tendus entre eux grâce à la supposition selon laquelle « different arts are alike and function according to the same rule » (Rippl 2015, p. 6). Si l’un des principes de base de l’intermédialité est que les arts et médias peuvent effectivement partager des traits, il n’est toutefois plus question de les identifier les uns aux autres, notamment à cause des rapports de domination qui peuvent s’ensuivre. Le principe d’équivalence n’en étant pas forcément un d’égalité, il laisse présager qu’une forme valorisée en un temps donné puisse voir ses catégories et valeurs apposées aux autres, à la manière dont la linguistique a su imposer ses catégories aux systèmes de signes non-textuels. Comme le souligne Rippl, « the term sister arts hides the fact that the different art forms were increasingly understood as competitive ones » (2015, p. 4). Sensible à ces problèmes, l’intermédialité tend davantage à penser la différence, notamment par l’attention portée à la matérialité de la médiation (dans une acception large).

Opposition

Toutefois, la réponse opposée, exemplifiée par l’entreprise de Gotthold Ephraim Lessing dans son Laocoon, ou Des frontières respectives de la peinture et de la poésie publié en 1766 où il reprend justement l’ut pictura poesis d’Horace pour en critiquer les prémisses, pose également problème d’un point de vue intermédial. Lessing établit, dans son traité, des oppositions fondées sur les différences a priori insurmontable entre ce qui relève de l’art de l’espace et ce qui relève de l’art du temps. Si la matérialité est effectivement prise en considération ici, c’est pour en faire le lieu d’oppositions insurmontables entre les arts. À cette perspective essentialiste répond également l’intermédialité qui, sensible aux mouvements et aux phénomènes de transferts, se méfie des divisions ontologiques posées comme naturelles et fixes. La pensée contemporaine a plutôt tendance à considérer les frontières médiatiques comme étant essentiellement poreuses et mouvantes (sans toutefois invalider les entreprises modernistes de recherche sur les spécificités et limites des formes artistiques, les prenant même à témoin). Ainsi la posture intermédiale n’en est ni une d’identification qui négligerait la différence, ni une d’opposition qui occulterait les transferts et la coévolution des médias. Force est de constater, par contre, qu’elle est dans une certaine mesure issue de la négociation entre l’une et l’autre de ces positions extrêmes.

Différence et interaction

C’est en renversant le problème pour faire de la relation la donnée première (plutôt que de penser les pôles peinture ou sculpture et poésie comme déjà-là) que les rapports infiniment plus complexes peuvent être mis au jour. On en arrive alors à observer comment ces arts peuvent s’influencer mutuellement, comment leur trajectoire respective est fortement tributaire de l’évolution des autres arts, comment ils se répondent, se combinent, se défient, se rendent hommage, bref, comment l’histoire des uns est déjà comprise dans l’histoire des autres, et vice versa. Pensons à l’émancipation tardive de la sculpture par rapport à l’architecture telle que la met en évidence Adorno, par exemple.