Imaginaire/réel : Différence entre versions
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Definition courte
À l'ère du numérique, alors que l'espace numérique devient notre espace, la dichotomie traditionnelle entre ce que l'on appelle le "réel" et l'"imaginaire" n'est plus pertinente.
Définition détaillée
La séparation entre réel et imaginaire se fonde traditionnellement sur la possibilité de distinguer de façon claire l’espace du discours de l’espace hors du discours. L’imaginaire s’oppose au réel en ce qu’il se trouve, justement, dans l’espace du discours. Les relations entre ces deux espaces ont fait l’objet de nombreuses interprétations, bien que l’on puisse mettre en évidence deux démarches décisives (Guidone 2003). D’une part, l’imaginaire peut être pensé comme un non-être - ainsi que le voudrait Sartre, notamment dans L’imaginaire (1940). D’autre part, et de façon inverse, l’imaginaire peut être pensé comme structurant le réel - c’est ce que propose notamment Valéry (Jarrety 1981). Dans un cas comme dans l’autre, réel et imaginaire sont opposés. L’hypothèse que nous souhaitons défendre cherche à se démarquer de ce rapport d’opposition : il nous semble en effet que le fait numérique brouille les frontières entre imaginaire et réel ou, mieux, qu’il produit une superposition entre les deux termes, au point de rendre leur caractérisation quasi non pertinente. Notre argumentation s’appuie sur les quatre points suivants : 1. La réalité tend à s’identifier de plus en plus avec ce que Luciano Floridi (2014) appelle “infosphère”, dont l’espace numérique fait partie. 2. L’espace numérique n’est pas un discours sur le monde mais le monde lui même. Le concept que nous utiliserons pour expliquer cette correspondance est celui d’“éditorialisation” (Bachimont 2007, Vitali-Rosati 2014a et b). 3. Dans l’espace numérique se trouve une série d’objets discursifs que l’on peut assimiler à ce qu’on appelle traditionnellement “imaginaire” : il s’agit notamment des objets littéraires - récits, nouvelles, etc. 4. En raison de la coappartenance à l’espace numérique d’objets discursifs différents, mais aussi en raison de l’assimilation de l’espace du discours à la réalité, la distinction entre ce qu’on appelle imaginaire et ce qu’on appelle réel devient de moins en moins pertinente.
Rappelons d’abord l’affirmation de Floridi (2014): “Minimally infosphere denotes the whole informational environment constituted by all informational entities, their properties [...]. Maximally, infosphere is a concept that can also be used as synonymous with reality, once we interpret the latter informationaly. In this case the suggestion is that what is real is informational and what is informational is real.” (p. 41) Pour preuve de cette progressive correspondance entre la réalité et l’infosphère, observons le développement du web des objets : on ne peut pas correctement affirmer que l’identifiant unique d’un objet (ou l’uri, pour “unique resource identifier”) sur le web est une simple représentation de cet objet. En effet, cet identifiant a un pouvoir opérationnel sur l’objet, de sorte qu’il devient donc l’objet lui-même (l’uri de Paris n’est pas une représentation de la ville Paris, mais la ville elle-même). De cette manière, il n’est plus pertinent de séparer le discours sur le monde du monde, car tous deux sont complètement hybridés. Pour rendre compte de cette structure, nous proposons le concept d’éditorialisation, qui vient désigner l’ensemble des dispositifs permettant la production de contenus dans l’espace numérique. Aussi, alors que l’on constate un phénomène d’assimilation entre discours et monde, l’éditorialisation devient un acte de production du réel. Considérons par exemple le processus d’éditorialisation d’une ville, qui regroupe notamment le mappage Google, les recensions Trip advisors, les données sur Wikipédia ou sur DBpedia, les images, les sites institutionnels (le site de la ville, de ses musées)... Quand on marche dans la ville, on se trouve dans un espace produit par ces pratiques d’éditorialisation : la carte Google, les informations sur les restaurants ou les horaires d’ouvertures des musées cohabitent avec les murs, les bâtiments, l’architecture. La ville est constituée de l’ensemble de tous ces éléments. Or au milieu de ces éléments nous retrouvons aussi des “informations” qui relèvent de la fiction. Dans le cas de Paris, à nouveau, nous pouvons trouver des données ajoutées à la carte Google, qui “mappent” la ville dans le cadre de la fiction : c’est ce que fait par exemple Cécile Portier dans Traques traces. Ici, ces données côtoient, dans une carte Google (http://www.petiteracine.net/traquetraces/map/node), les autres “informations” sur le lieu dont il est question. En d’autres termes, si la ville de Paris se superpose à l’infosphère qui la concerne, alors, puisque cette infosphère est aussi composée de Traques Traces, la fiction Traques traces est aussi Paris.
En conclusion, nous pouvons abandonner le paradigme de la représentation.
Problèmes
Si nous abandonnons le paradigme de la représentation, il devient impossible de distinguer le réel de l'irréel, la vérité de la fiction.